Penser l’afro-citoyenneté à partir de
Serges Beynaud.
Note d’écoute.
L'oreille du mélomane est alertée par OKENINKPIN, cette chanson
de Serges Beynaud, on y écoute une quête de l’identité à partir de
l’Afrique. Que dit-il ? « Moi, je suis africain ; l’Afrique
c’est chez moi, Afrique de fiers guerriers ; Afrique de jolies
femmes » ; je m’attèle à comprendre cette phrase de l’artiste
ivoirien qui chante le coupé-décâlé. Je pense ses propos à partir
d’une conception de l’Afrique qui est interprétée : assumer son identité
« africaine » et la vivre à partir de ses forces et des possibilités
réelles de présence au monde.
Qu’est ce
qu’être africain ?
Qu’est ce qui fait de l’artiste un africain ? Est-ce
parce qu’il est né en Afrique ? Ce qui est encore très vaste et très
vague ; néanmoins, l’élocution du lieu « Afrique » pour lui est
le refus de se laisser identifier précisément dans tel ou tel lieu précis du
continent africain. Est-ce qu’il pense à ces africains qui sont nés en Europe
ou en Amérique ? ou alors, pense-t-il à ces africains, descendants
d’esclaves, et qui ont néanmoins un lien avec le continent africain
de par leur ascendance ? Se reconnaissent-ils comme provenant de cette lignée
africaine ? L’assument-ils ? le problème peut se poser autrement par
l’examen des rites et pratiques qui ont circulé dans le nouveau monde ; et
vécus par ces fils et filles d’Afrique.
Le propos « Moi, je suis africain », peut
s’entendre selon son sens premier ; c’est un sujet qui pose son existence
comme africaine et africanisée. Le fait d’employer la première personne du
singulier est la position de soi comme entité responsable de son élocution. La
question de ce « je » qui énonce son africanité ou sa quiddité
africaine ne s’enfermera-t-il pas dans son identité ? Il pose son
africanité comme une essence ; il assume ainsi son hérédité de naissance
et d’appartenance.
Peut être passe-t-on très vite sur le « je » et
l’on oublie ce « moi »qui démarre la phrase ; ce
« moi » s’assume par sa capacité de parler, d’assumer son discours
qui se pose comme lui appartenant. Ce moi personnel est celui d’un individu de
par son être assumé comme tel. Le « moi » qui pose ainsi son
africanité africain réfléchit sur son « moi ». Il se prend
pour objet de pensée.
« Moi, je suis africain », je me pose comme
africain. Par la suite, l’on se rend compte que l’artiste situe l’Afrique comme
son lieu habituel de résidence, ou d’origine. « L’Afrique c’est chez
moi ». Ici, le musicien étend son identité à toute l’Afrique. Cette
extension identitaire, lui donne le droit de circuler partout dans
l’Afrique ; il peut se rendre dans tous les endroits de l’Afrique où il
trouvera place ; il y vivra l’amitié et l’hospitalité. Nullement dépaysé
puisque des frères et des sœurs seront là pour l’accueillir. Dans tout coin
d’Afrique, il sera accueilli, par un sourire ou par un mot chaleureux, par
exemple, le fameux « AKWABA » de Côte d’Ivoire. Cette extension
d’appartenance est une acte de solidarisation avec les africaine et les
africains.
« L’Afrique c’est chez moi » ; Cette
formulation met en confiance celui qui l’énonce et elle annonce la capacité de
circuler là où il souhaite. Je m’y sens en confiance. La question qui se pose
dans cette citation est celle de savoir comment prendre soin de ce chez soi. Si
l’Afrique est le « chez moi », cela implique son entretien ;
puisqu’en arrière fond de cette phrase, l’appartenance à une maison est en
filigrane. Il s’agit de s’investir pour ses citoyens. Il est question de donner
son cœur, son temps et son énergie pour que ce chez soi, soit propice à ce que
tous et toutes aient de quoi se satisfaire de bien vivre.
Quelle est cette « Afrique » qui est la
sienne ? N’est ce pas celle qui relit sa propre histoire ? Celle qui
fait mémoire des moments humiliants que furent la vente des êtres humains au
loin, par des frères africains pour les besoins d’esclavage ? Ce
« chez soi » est la somme de ces malheurs, cette banalité de l’être
humain qui chosifie son semblable.
« Moi je suis africain » est énonçable par celui de
la diaspora africaine ; cette Afrique éparpillée dans le monde qu’elle
soit en Europe ou en Amérique. L’histoire de la traite négrière, est revisitée
dans la chair de ces africains quand ils affrontent dans leur lieu d’exil,
l’injustice et le racisme. Cela montre que l’Afrique ne se pense pas en
elle-même ; la rencontre entre l’Europe et l’Afrique a été conflictuelle.
Est-ce l’Europe des Lumières et de la raison qui ainsi s’est répandue dans ses
manières de faire et d’être, au point d’assujettir les autres peuples, en leur
refusant la possibilité d’exister à partir de leurs croyances ? C’est
aussi, l’Afrique des descendants d’Afrique qui ont fait de l’Europe ou de
l’Amérique leur lieu de résidence et d’appartenance.
Cette Afrique qui rencontre l’Europe s’est définie par la
double posture de l’humiliation et de la révolte. C’est pourquoi, l’on ne peut
pas s’étonner des pratiques de révolte contre cet autrui qui a été dominateur.
De toutes les manières, l’artiste, est en rupture cette
vision doloriste de l’Afrique et préfère plutôt chanter une Afrique de
« fiers guerriers ». C’est l’Afrique qui combat contre son
aliénation ; celle qui lutte contre les forces d’oppression. C’est
l’Afrique de Béhanzin, l’Afrique des Amazones, l’Afrique rêvée par Lumumba, par
Um Nyobé, Steve Biko. Cette Afrique des africains qui luttent pour leur
émancipation réelle. C’est l’Afrique des villages, l’Afrique des villes.
Son « Afrique de jolies femmes » est un procédé de
mise en confiance des africains en leur invitant à avoir un estime d’eux-mêmes
et d’elles-mêmes ; qu’ils estiment leur propre personne et arrêtent de se
voir comme le summum de la victime du racisme. Cela rejoint bel et bien,
« Africa is beautiful ». C’est un hymne à la beauté.
Cette afro-citoyenneté en appelle à une nouvelle manière de
vivre selon le respect de soi, de la vie de soi-même et celle des autres. Le
citoyen est celui qui s’engage pour la paix, et s’investit dans le travail de
chaque jour, par ses talents, à rendre cet univers viable et vivable.
L’afro-citoyen s’inquiète donc de ce déferlement de la violence et plaide pour
la cessation de l’intégrisme, du fondamentalisme religieux. Au contraire,
l’afro-citoyenne appelle au respect des coutumes pour la vie.
En fait, par cette phrase, Serges Beynaud est entrain de
participer à l’enfantement de lieu qui pour lui a de l’importance :
l’Afrique. Avec l’instrument musical, il s’affirme bel et bien comme un
Afro-citoyen. Son afro-citoyenneté gagnera en densité si et seulement si chaque
citoyen du continent a la possibilité de vivre selon ses compétences pour
l’entretien de ce chez soi qu’il habite au carrefour de la rencontre avec les
autres.
Akono François-Xavier.
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